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Impôts de production: un handicap de compétitivité pour les entreprises qui produisent en France

Denis Ferrand et Philippe d’Ornano - L'Opinion, septembre 2023

19/09/2023

La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises promise pour 2024 est reportée. Pourtant, les impôts de production restent un facteur pénalisant pour notre compétitivité. "Pour se développer, les entreprises qui produisent en France, particulièrement les PME et les ETI, ne luttent pas à armes égales avec leurs concurrents européens" souligne Philippe d’Ornano, co-président du METI. Même après la suppression de la CVAE, annoncée d’ici 2027, l’écart de prélèvements avec l’Allemagne restera important, "de l'ordre de 100 milliards d’euros", rappelle Denis Ferrand, DG de Rexecode.

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Pourquoi les entreprises réclament-elles des baisses d’impôts de production ?

Denis Ferrand - Les impôts de production sont des prélèvements sur les entreprises, indépendants des résultats qu’elles réalisent, arrivant pour certains avant même le premier euro de chiffre d’affaires. Ils sont assis sur des bases foncières, sur la valeur ajoutée, les salaires, etc. Ce sont donc dans une large mesure des coûts fixes qui pénalisent la croissance des entreprises, quand bien même ils procurent des recettes publiques conséquentes. Les plus importants sont les taxes foncières, la contribution économique territoriale (ancienne taxe professionnelle), la taxe sur les salaires et le versement transports.

Philippe d’Ornano - Les impôts de production existent dans tous les pays européens mais sont considérablement plus élevés en France. C’est l’une des principales raisons de notre désindustrialisation. Pour se développer, les entreprises qui produisent en France, et plus particulièrement les PME et les ETI, ne luttent pas à armes égales avec leurs concurrents européens. Lorsqu’il dure dans le temps, ce décalage de compétitivité touche de plein fouet leur capacité d’investissement, d’innovation, de robotisation et d’expansion à l’international. C’est ce décrochage que le METI s’est attaché à objectiver en s’appuyant sur des études économiques, des cas pratiques, en contribuant aux rapports publics.

Quel bilan faites-vous des baisses d’impôts du plan de relance et de la baisse de la CVAE en 2023 ?

DF - Grâce au plan de relance, 10,6 milliards d’euros de baisses d’impôts de production ont été entérinés dès 2021. En 2023, la CVAE a baissé de quatre milliards supplémentaires. Ces baisses ont été calibrées pour soutenir plus particulièrement l’industrie, dans un objectif de compétitivité et de souveraineté. La corrélation est encore délicate à établir, mais ce que l’on constate a posteriori est qu’à la faveur d’une politique de l’offre qui, outre la baisse des impôts de production, est passée par le CICE, la baisse de l’IS, mais aussi les réformes du marché du travail, la France affiche une meilleure dynamique de l’investissement, notamment industriel, que ses principaux voisins.

PO - Du fait du déficit de compétitivité, la France s’est massivement désindustrialisée depuis 40 ans. Cela fait une dizaine d’années que la situation a commencé à s’inverser. L’idée de ramener les entreprises qui produisent en France dans un environnement fiscal plus proche de la moyenne européenne est progressivement mieux comprise. Cette politique commence à payer, notamment chez les ETI où nous avons constaté un rebond de +42% de l’investissement en 2022 par rapport à 2019, avec la multiplication de projets de nouvelles implantations dans nos régions. C’est cette politique qui explique la bonne tenue de l’emploi ainsi qu’un surcroît de recettes fiscales alors même que les taux de certains impôts baissent.

Si ces baisses ont fonctionné, mais que le déficit public reste élevé, ne faut-il pas ralentir ?

DF - Même après la suppression complète de la CVAE, annoncée d’ici 2027, l’écart avec les autres grands pays européens restera important, et notamment avec l’Allemagne, avec près de 100 milliards d’euros de prélèvements payés en plus par nos entreprises, et ce, après déduction des aides que ces dernières reçoivent. La France continue à surtaxer le foncier des entreprises, qui sont par nature des contribuables à forte mobilité. Certains impôts comme la C3S qui porte sur le chiffre d’affaires sont particulièrement pénalisants par l’effet "cascade" qu’ils occasionnent.

PO - L’objectif n’est pas en soi de baisser les impôts. La recette fiscale est indispensable pour diminuer des déficits très dangereux pour notre pays. Mais pour favoriser les rentrées fiscales, il faut pouvoir s’appuyer sur une assiette large d’entreprises dynamiques. Entreprises qui ont besoin d’être compétitives et soumises aux mêmes contraintes qu’ailleurs en Europe. Ce réalignement compétitif est à notre portée, mais nous n’avons fait qu’une petite partie du chemin. Les écarts que met en lumière Rexecode restent substantiels. Pas uniquement sur la fiscalité locale d’ailleurs et des décalages importants subsistent sur la fiscalité de production qui touche le chiffre d’affaires (C3S), la masse salariale ou encore les taxes sectorielles qui percutent sensiblement les modèles d’affaires. C’est le cas par exemple pour les ETI de la santé et du médicament à l’heure de l’impératif de souveraineté.

Que change le report de la suppression de la CVAE ?

DF - Par rapport à 2019, la CVAE a déjà diminué de 75%. Elle devait disparaître dès 2024, ce qui allait procurer 4,5 milliards soit environ 0,3 point de valeur ajoutée en marge supplémentaire pour les entreprises. La nouvelle trajectoire amoindrit mécaniquement cet effet: l’imposition ne baisserait plus que de 0,1 point en 2024. Au-delà, ce n’est pas forcément un bon signal d’opposer compétitivité des entreprises et discipline budgétaire, les deux objectifs peuvent aller ensemble quand la première permet d’approfondir la base d’imposition par les revenus qui lui sont associés.

PO - La poursuite du réalignement compétitif est la seule voie réaliste pour réduire durablement les déficits parce qu’elle seule produit un véritable "retour sur investissement" pour les finances publiques. C’est d’autant plus urgent que les ETI françaises sont confrontées à trois défis majeurs: continuer à se développer dans un contexte de ralentissement de l’économie mondiale, un choc qui perdure sur les coûts de production (énergie, inflation, hausse des taux), un mur d’investissements colossal chiffré à 26 milliards d’euros par an d’ici 2030 pour les 11.000 PME de croissance et ETI pour la transformation environnementale de ces entreprises. Certaines avaient intégré la suppression de la CVAE dès 2024 dans leurs business plans. Espérons, dans ce contexte tendu, que cela ne conduira pas à des arbitrages défavorables aux investissements.

Les baisses d’impôts de production réduisent-elles les ressources des collectivités territoriales ?

DF - Non, les compensations prévues par le législateur assurent pour les collectivités territoriales une masse de recettes globale aussi dynamique. En revanche, le risque est que le lien entre collectivités et entreprises se distende, car les nouvelles recettes sont beaucoup moins corrélées au développement économique de leur territoire.

PO - Les collectivités locales, régions, intercommunalités, communes sont les partenaires essentiels des industriels. Elles mènent un travail formidable pour accueillir de nouvelles implantations. Les ETI en sont les premiers témoins. Elles doivent de ce fait bénéficier de ressources pour offrir les conditions et l’environnement propices au développement de l’activité.

Quelles autres mesures pour réussir la réindustrialisation ?

DF - La maîtrise des dépenses publiques, c’est-à-dire leur réduction en proportion du PIB, est une priorité dans un contexte de montée des taux d’intérêts et alors qu’un mur de financements pour la transition climatique est devant nous. La France doit réduire ses déficits jumeaux (publics et extérieurs) qui reflètent un niveau de consommation privée et publique supérieur à ses moyens. C’est la meilleure garantie de compétitivité économique à moyen terme et d’une réindustrialisation réussie.

PO - La restauration des conditions du "travailler et produire en France" est le plus court chemin pour parvenir à l’économie des "bons salaires". Pour cela, la France doit poursuivre son redressement compétitif et miser massivement sur l’éducation et la formation. Les gouvernements successifs - de manière transpartisane - se sont engagés sur cette voie. Nous avons tous les atouts pour redevenir une grande nation industrielle. L’économie des bons salaires conduira à réduire mécaniquement la voilure des dépenses de l’État.

Propos recueillis par Raphael Legendre

Entretien paru dans l'Opinion du 19 septembre 2023, à l'occasion de la parution de:

Etat des lieux de la fiscalité locale de production , Document de travail N.87 (sept. 2023), une étude réalisée par Rexecode avec le soutien du METI.

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