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Fiscalité du capital : le Sénat préfère les multinationales aux PME

- Les Echos, décembre 2017

11/12/2017

Michel DIDIER

En réintégrant dans la base d’imposition au barème progressif tout dividende dépassant de 10% la valeur de l’investissement de l’entrepreneur, le Sénat fait perdre à la réforme de la fiscalité du capital une bonne partie de son bénéfice économique. Cela revient à exclure du prélèvement forfaitaire unique (PFU) ceux-là mêmes pour qui il est conçu.

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La réforme de la fiscalité du capital votée par l’Assemblée Nationale est une grande simplification de notre fiscalité et une forte incitation économique à créer et développer des entreprises sur notre territoire.

Nous avons évalué l’enjeu positif à un demi-point de PIB en plus pour l’ensemble des français et à plus de 200.000 emplois supplémentaires à terme .

Seulement voilà, les vieux démons reprennent vite le dessus ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Pourquoi faire confiance aux entrepreneurs quand on peut s’en méfier et les enserrer a priori dans des filets paralysants ? On n’attendait pas du Sénat qu’il prenne l’initiative de faire perdre à la réforme une bonne partie de son bénéfice économique. C’est pourtant ce qu’il a fait en votant un amendement punitif sur la base d’arguments non vérifiés.

La motivation est, certes, louable. Il s’agit de limiter les risques pour les recettes publiques. Ce que craignent les auteurs de l’amendement, c’est que certains dirigeants d’entreprises choisissent à l’avenir de se rémunérer en dividendes plutôt qu’en salaires. La réponse proposée par l’amendement repose sur des arguments inexacts. Elle est inappropriée, mal conçue et anti-économique.

La proposition consiste à réintégrer dans la base d’imposition au barème progressif tout dividende qui dépasserait 10% de la valeur de l’investissement de l’entrepreneur, bref de supprimer en fait le PFU pour ceux-là mêmes pour qui il est conçu.

Les créateurs ont en effet peu d’apport financier, mais ils prennent des risques pour créer et se paient souvent des salaires faibles, quitte à compléter par un dividende si l’entreprise réussit. On aboutirait ainsi au paradoxe suivant. Un épargnant qui placerait en bourse dans une grande multinationale verrait ses dividendes imposés au PFU de 30%. S’il participe en revanche à la création d’une entreprise nouvelle et à sa direction, avec tous les risques que cela comporte, les dividendes qu’il peut espérer un jour seraient imposés jusqu’au taux supérieur de plus de 60% !

La proposition paraît faire écho à une tribune de Gabriel Zucman, professeur assistant à Berkeley, publiée dans Le Monde (25/10/2017). Cet article prétend que des transferts de revenus des salaires vers les dividendes pourraient coûter au Trésor Public plus de 10 milliards d’euros. Il se fonde pour l’affirmer sur une étude d’autres chercheurs, concernant les Etats-Unis, qu’il transpose à la France, alors que le système juridique et fiscal français est très différent de celui des Etats-Unis. Surtout, l’article de Zucman comporte des approximations et erreurs. Par exemple, il néglige les cotisations sociales employeurs et surestime les prélèvements entre dividendes et salaires.

La proposition du Sénat part de l’hypothèse que la situation économique de l’entreprise est une donnée acquise et que le seul problème des dirigeants serait de choisir son mode de rémunération. La réalité est tout autre.

Le premier souci des dirigeants est d’assurer l’avenir de l’entreprise et de la faire réussir. Or, un salaire est une charge quasi-fixe qui grève les coûts de production. Le dividende est variable et n’est versé que si l’entreprise a dégagé des résultats. La sécurité de l’entreprise est que les charges fixes soient limitées. En outre, lorsque l’entreprise comporte plusieurs fondateurs, ce qui est un cas très fréquent, les rémunérations font l’objet d’un compromis entre eux et ne peuvent pas être fixées au gré de chacun. La répartition des dividendes évite tout débat car elle est fixée dans les statuts.

Enfin, la proposition du Sénat ignore l’impact macroéconomique de la fiscalité.

Elle raisonne comme si la production nationale était une donnée, qu’il resterait simplement à répartir. Pénaliser la création et le développement des entreprises par une fiscalité inappropriée a un coût économique, et ce coût dépasserait largement l’éventuelle bascule fiscale de quelques salaires sur les dividendes. La réforme fiscale a précisément pour objet de réduire ce coût. A condition d’être appliquée !

La proposition du Sénat serait un retour en arrière défavorable à la croissance et à l’emploi. L’Assemblée Nationale devrait donc la rejeter.

Tribune de Michel Didier, président de Coe-Rexecode dans Les Echos

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